Le « Savon de Marseille » est un produit de toilette très populaire en France, qui jouit d’une image particulièrement attractive tirée des méthodes de fabrication artisanales de quelques savonneries provençales respectueuses d’une tradition séculaire.
En France, on trouve aisément du « Savon de Marseille » dans tous les commerces proposant un rayon hygiène et beauté. Pourtant, à lire les étiquettes apposées sur les produits, il est rare que le savon ait été effectivement fabriqué à Marseille. Il provient même très souvent de l’étranger.
Cela peut paraître trompeur pour le consommateur, et cela l’est évidemment dans une certaine mesure, mais la raison de cet état de fait est simple et implacable : le « Savon de Marseille » n’existe pas juridiquement. Plus précisément, l’appellation « Savon de Marseille » n’est pas juridiquement protégée ni a fortiori réservée aux seuls savons fabriqués à Marseille, qu’ils respectent des méthodes de production particulières ou non.
Le cadre législatif actuel, qu’il soit français ou communautaire, ne permet pas en effet de protéger des indications géographiques en relation avec des produits manufacturés mais uniquement en relation avec des produits agricoles ou des denrées alimentaires, les plus connues d’entre elles étant, terroir français oblige, les A.O.C. (appellations d’origine contrôlée) ou A.O.P. (appellations d’origine protégée) applicables aux vins.
Récemment appelé à s’exprimer au Sénat sur la « situation préoccupante des savonneries provençales » présentées comme victimes de « la concurrence déloyale d’entreprises étrangères venant de Chine, de Malaisie, d’Italie et d’ailleurs, usurpant le nom ‘Savon de Marseille’ et inondant le marché de contrefaçons de savons, n’ayant de Marseille que le nom« , le Ministère chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation a affirmé que le « Gouvernement proposera, dans le cadre du projet de loi relatif à la consommation, un dispositif permettant, sous le contrôle de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), de protéger et valoriser les productions industrielles et artisanales locales qui possèdent une qualité déterminée ou une réputation qui peuvent être attribuées essentiellement à leur origine géographique » (réponse publiée dans le Journal Officiel du Sénat du 6 juin 2013, page 1723, à la question écrite N°05078 de M. Roland Povinelli) (*).
Compte tenu du caractère général et flou des propos précités, il est vraisemblable que cette réponse ne rassurera pas les membres de l’Union des Professionnels du Savon de Marseille qui ont déposé une marque à vocation de « label » et destinée à défendre l’authenticité de leur tradition industrielle et à garantir le respect des procédés spécifiques de saponification pour l’obtention d’un savon aux qualités recherchées par le consommateur (http://www.label-savon-de-marseille.fr/), mais dont la nature juridique semble pour l’heure encore peu claire à en croire la base de données de l’INPI.
D’ailleurs, la tâche ne sera sans doute pas aisée à voir le nombre de marques déjà déposées et enregistrées, contenant la dénomination « Savon de Marseille ». On peut ici tenter un parallèle avec le sort judiciaire réservé à la commune de Laguiole qui estimait en septembre 2012 avoir été dépossédée de son nom par le déposant de la marque éponyme, à la suite d’une décision du Tribunal de grande instance de Paris (dont appel aurait été interjeté).
Cela étant, il est sans doute fondamental que la France, comme les autres pays, se dotent de nouvelles armes pour lutter contre ce qui pourrait être qualifié, à défaut d’autres termes juridiquement valables, de parasitisme d’image ou de renommée au préjudice des savoir-faire industriels nationaux, régionaux ou locaux. Car, dans l’économie globalisée que nous connaissons, ces savoir-faire et leurs dénominations constituent très certainement tout autant des atouts commerciaux d’avenir que des sources de convoitise.
© [INSCRIPTA]
Cet article a également été publié sur le Village de la Justice.
(*) Mise à jour avril 2014: la loi N°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite loi Hamon, a créé des indications géographiques nationales pour les produits manufacturés. Voir notre article à ce sujet.