Il aura fallu une douzaine d’années et six décisions de justice, dont deux arrêts de la suprême Cour de cassation, pour finir par considérer que la marque semi-figurative TOP VIANDES, enregistrée entre autres pour désigner des viandes, présente « un caractère original et parfaitement distinctif ».

Tout ça pour ça, a-t-on envie d’écrire.

L’histoire était pourtant simple et, sur le terrain du droit des marques, ne nous semblait pas devoir susciter de difficultés.

Le contexte

topviandes

Voici la marque TOP VIANDES, dont nous n’avons pas trouvé de reproduction en couleurs, mais ainsi décrite par la cour d’appel : « rectangle rouge dans lequel est représenté un drapeau blanc en réserve, à l’intérieur duquel sont inscrits les mots TOP (en couleur bleue) et VIANDES (en couleur rouge) ».

Les propriétaires de cette marque, ayant découvert qu’une boucherie utilisait comme dénomination sociale TOP VIANDES, l’avaient assignée en contrefaçon et en concurrence déloyale. Malheureusement pour eux, le Tribunal de grande instance de Castres (13 mai 2004), puis la Cour d’appel de Toulouse (13 décembre 2005), prononcèrent l’annulation de la marque pour absence de caractère distinctif.

L’examen de l’impression d’ensemble

En 2008, saisie sur pourvoi, la Cour de cassation cassa et annula l’arrêt d’appel, sur ce point uniquement, au motif que la cour n’avait pas procédé « à l’examen de l’impression d’ensemble produite par ce signe » (Ch. com., 26 février 2008, pourvoi U/2006/11403).

C’est ainsi que la Cour d’appel de Toulouse, autrement composée, eut à juger une nouvelle fois de l’affaire en 2011. Elle conclut que « la seule forme du drapeau en réserve dans laquelle sont écrits les mots TOP et VIANDES qui ont un caractère simplement descriptif […], ne confère pas au signe déposé une distinctivité suffisante pour qu’il soit considéré comme valable » (2ème ch., 1ère sect., 2 février 2011, RG 2008/02011).

Assez curieusement cependant, elle n’examina pas non plus l’impression d’ensemble produite par le signe semi-figuratif TOP VIANDES ou, plus précisément, n’indiqua pas expressément avoir procédé à cet examen. Et ce qui devait arriver arriva… encore.

Un nouveau pourvoi en cassation fut formé et la Cour ne fut pas plus indulgente avec les juges du fond que la première fois : « en se bornant à prendre en considération les seuls éléments verbaux de la marque semi-figurative, la cour d’appel qui n’a pas procédé à l’examen de l’impression d’ensemble produite par ce signe, n’a pas donné de base légale à sa décision » (Ch. com., 20 mars 2012, pourvoi T/2011/14941).

La solution définitive (?)

Cette fois-ci, ce fut la Cour d’appel de Bordeaux qui fut saisie de l’affaire et il semble que le message martelé par la Cour de cassation soit finalement passé.

Pour autant, le sens de la décision de renvoi ne laisse pas de surprendre, la cour relevant que « si l’élément « viandes » correspond à un terme générique, l’élément « top » ne correspond pas à une désignation caractéristique du produit mais vise à évoquer sa supériorité, et ces termes insérés dans l’image d’un drapeau blanc se dégageant sur un fond rectangle rouge produisent une impression d’ensemble conférant à la marque litigieuse, de par l’assemblage des couleurs, typographies, dessins et vocables, un caractère original et parfaitement distinctif ; il sera relevé que le dessin d’un drapeau, ainsi utilisé, présente un caractère arbitraire et fantaisiste par rapport au commerce de la viande, renforçant la distinctivité de la marque ».

La marque est donc sauvée. Mais à quel prix ?

La cour indique que « l’élément « top » ne correspond pas à une désignation caractéristique du produit mais vise à évoquer sa supériorité » ce qui, selon elle, fait échapper ce terme au grief d’absence de distinctivité.

Pourtant, selon l’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle, « Sont dépourvus de caractère distinctif : […] b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service […]. »

L’élément TOP, voire l’expression TOP VIANDES elle-même, ne peuvent-ils pas servir à caractériser en l’espèce la qualité ou la valeur des produits, entre autres des viandes, revêtus de la marque ? A l’évidence, si. Et ne serait-ce que, selon toute vraisemblance, dans l’esprit du déposant.

A relire la décision, il semble vraiment que ce sont les éléments figuratifs de la marque qui ont permis de rehausser le caractère distinctif de l’expression verbale TOP VIANDES et donc de la marque prise dans son ensemble.

Ils n’étaient toutefois pas bien importants et, en toute hypothèse, il nous paraît difficile de les percevoir comme présentant un caractère « original », si tant est que ce critère soit pertinent en droit des marques, dès lors qu’il s’agit d’un « rectangle rouge dans lequel est représenté un drapeau blanc en réserve, à l’intérieur duquel sont inscrits les mots TOP (en couleur bleue) et VIANDES (en couleur rouge) » (1).

Mais il faut croire que cela était suffisant pour les juges du fond ou bien que ces derniers ne souhaitaient pas prolonger les allers-retours avec la Cour de cassation. Pour ce qui nous concerne, nous en sommes presque à souhaiter une ultime série de décisions pour revenir à un peu plus de sérénité et, si l’on osait, de sérieux dans l’appréciation du caractère distinctif de la marque.

Ce qu’il faut retenir

Ce qui intéressera les déposants de marques françaises, c’est qu’une marque dont la partie verbale possède une très faible distinctivité peut néanmoins être considérée comme valable lorsqu’elle est accompagnée d’éléments figuratifs qui, même sans grande originalité, permettront de la distinguer des marques et signes utilisés par les concurrents.

Mais il faut également être conscient des limites d’une telle protection. A défaut de reproduction à l’identique ou quasiment à l’identique de la marque, prise dans son ensemble et non pas seulement dans sa partie verbale, la contrefaçon ne pourra certainement pas être reconnue (2).

A charge pour les exploitants de décider, en toute connaissance de cause, si le signe mérite d’être déposé à titre de marque.

© [INSCRIPTA]

  1. La Cour d’appel de Toulouse avait même jugé trompeurs les éléments figuratifs de la marque car ils pouvaient selon elle laisser croire à une origine exclusivement française, moyen finalement rejeté par la Cour de cassation pour avoir été relevé d’office sans que les parties n’aient été invitées à présenter leurs observations.
  2. Dans notre espèce, la marque avait été initialement annulée par les juges du fond. La demande en contrefaçon n’avait donc pas été examinée. La Cour de cassation n’a sanctionné les décisions des cours d’appel que sur le point de droit relatif à l’examen de la distinctivité. Mais, dès lors que la cour d’appel dernièrement saisie a décidé que la  marque était valable, sans doute aurait-elle dû se prononcer sur la question de la contrefaçon. Y aurait-il là moyen d’un nouveau pourvoi en cassation ?
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