Le constat

En France comme dans de nombreux pays, une revue attentive des registres de marques permet de s’apercevoir que les entreprises ne sont pas toujours propriétaires de leurs marques.

Dans de telles situations, les marques sont en général déposées et enregistrées au nom de personnes physiques, souvent les gérants, les présidents ou les associés fondateurs de sociétés qui pourtant exploitent ces marques, parfois même de façon exclusive, et qui sont donc amenées à mettre en œuvre vis-à-vis des tiers l’ensemble des prérogatives qui y sont attachées.

Les causes

Plusieurs raisons peuvent motiver la décision de déposer une marque au nom du fondateur d’une entreprise. Il peut s’agir d’un choix pratique conditionné par l’urgence de la situation dans laquelle la société est encore en cours de création. Cela peut résulter d’une stratégie de contrôle visant à garder la maîtrise des principaux avoirs de l’entreprise, parmi lesquels les avoirs immatériels et intellectuels. Des motifs familiaux peuvent intervenir si la marque correspond au nom patronymique du chef d’entreprise. Ce peuvent être des raisons financières, comptables, fiscales, etc.

Quelles qu’elles soient, parfois ces raisons et motivations sont juridiquement valables et la décision de déposer la marque au nom d’une personne physique plutôt qu’au nom de la société qui exploite la marque est prise de façon concertée, avec un conseil spécialisé en droit des marques ou en fiscalité de la propriété industrielle, par exemple. Parfois cependant, cette décision résulte d’un choix irréfléchi ou insuffisamment éclairé et peut se révéler particulièrement malheureuse ou douloureuse pour les personnes physiques et morales en cause.

Les conséquences négatives

Nous ne pouvons ici lister l’ensemble des situations problématiques susceptibles de survenir. Nous en évoquerons deux, pour leur importance et leur pertinence concrètes sur le terrain le plus sensible de la vie économique des entreprises, le terrain financier.

La valorisation de la marque et de l’entreprise

La valeur d’une marque se mesure à partir de très nombreux critères juridiques, comptables ou financiers. Mais bien entendu, la valeur d’une marque dépend intimement de son exploitation, en termes quantitatifs et qualitatifs.

Le fait que la marque ne soit pas propriété de l’entreprise qui l’exploite va donc nécessairement diminuer sa valeur puisque, d’un point de vue juridique strict, le propriétaire de la marque ne l’exploitera pas directement et n’en retirera, sauf cas particulier, aucun fruit.

Mais surtout, cela diminue la valeur de la société, que ce soit aux yeux des futurs investisseurs ou acquéreurs, ou des éventuels partenaires.

Pour les premiers, la valeur de l’entreprise sera notamment fonction de ses éléments d’actifs incorporels et il est fort peu probable que des actionnaires soient disposés à investir dans une entreprise qui ne serait pas propriétaire des actifs incorporels qu’elle exploite ou que des acquéreurs potentiels confirment leur intérêt s’ils se rendent compte que la ou les marques de l’entreprise ne font pas partie de son patrimoine et sont distinctes du fonds de commerce. Pire, une telle situation pourrait faire craindre à de telles personnes un risque de fraude ou d’escroquerie.

Pour les seconds, les partenaires, le fait que l’entreprise soit propriétaire de ses marques favorise son crédit, par exemple vis-à-vis de banques auprès desquelles un emprunt est sollicité, et renforce sa crédibilité entre autres à l’égard de sociétés tiers désireuses d’intégrer un réseau de fabrication, de distribution ou de franchise.

L’action en contrefaçon de marque

En cas d’action en contrefaçon, les conséquences négatives peuvent être financièrement et pénalement très lourdes pour la personne physique à qui appartient la marque, même si celle-ci est exploitée par une société.

Tout d’abord, le Code de la propriété intellectuelle prévoit que l’action civile en contrefaçon est engagée, avant toute autre personne, par le propriétaire de la marque.

Dans notre hypothèse, l’action en contrefaçon devra donc être engagée par la personne physique effectivement propriétaire de la marque, et non par la société qui l’exploite sans titre. Or c’est bien évidemment la société qui exploite la marque qui subit un préjudice commercial, industriel et financier du fait de la contrefaçon. Ce sont ses bénéfices ou son chiffre d’affaires qui sont affectés par la contrefaçon. En l’absence de titre de propriété sur la marque, la société ne pourra pourtant prétendre à aucune indemnisation du fait de la contrefaçon. Quant à la personne physique propriétaire de la marque en revanche, sauf circonstances particulières, elle ne pourra prétendre qu’à l’indemnisation d’un préjudice de principe, ou d’un préjudice moral, bien éloignés dans leur montant des réalités financières de l’entreprise envisagée dans son ensemble.

Ensuite, il ne faut pas négliger le fait que le propriétaire de la marque est responsable des actes de contrefaçon dont l’origine trouve sa source dans l’usage de la marque.

Toujours dans notre hypothèse, ce sera donc la personne physique propriétaire de la marque qui sera attaquée en justice pour les actes de contrefaçon, donc d’exploitation ou d’usage dans la vie des affaires, pourtant commis dans les faits par la société. Avec le risque d’être condamné pour contrefaçon tant au civil, à réparer le préjudice subi par le versement de dommages-intérêts, qu’au pénal le cas échéant, à payer une amende et/ou à exécuter une peine d’emprisonnement.

Les solutions à mettre en œuvre

Il y a deux solutions principales à mettre en œuvre pour éviter les conséquences négatives liées à une distinction entre la personne physique titulaire de la marque et la personne morale qui l’exploite réellement. Dans les deux cas, il faut opérer un transfert de droits.

La cession de marque

Il s’agit là d’un transfert total de la propriété de la marque, de la personne physique en faveur de la société qui l’exploite. C’est la solution la plus simple juridiquement puisqu’elle conduit à rétablir définitivement une concordance entre la situation réelle et apparente et la situation juridique.

La licence de marque

Dans cette hypothèse, le transfert de droits opéré par le propriétaire n’est que partiel et temporaire, comme dans un contrat de location.

La concession de licence peut être exclusive, c’est-à-dire réserver l’exploitation de la marque au seul licencié, y compris à l’exclusion du propriétaire lui-même, ou bien simple, c’est-à-dire au profit de plusieurs licenciés.

La licence peut porter sur l’ensemble des produits ou services couverts par la marque, ou sur une partie seulement. Elle peut être plus ou moins limitée géographiquement, elle peut être accordée sur une durée plus ou moins longue, elle peut prévoir différents types de rémunération en faveur du propriétaire concédant, etc. Les options sont très variées.

Comment choisir entre cession et licence de marque ?

Le choix entre les deux solutions doit résulter, avant toute autre chose, de l’intérêt de l’entreprise qui exploite la marque. Mais d’autres paramètres entrent en ligne de compte, tels que la facilité de gestion de la marque, la volonté de conserver le nom patronymique correspondant à la marque au sein de la famille du dirigeant de l’entreprise, la politique éventuelle d’un groupe de sociétés, l’organisation interne de l’entreprise, et toujours des motifs financiers, comptables, fiscaux, etc.

Le mieux est donc de bien définir quels sont les objectifs de l’entreprise à courts et moyens termes et de les confronter aux conseils d’un conseil en propriété industrielle pour évaluer la stratégie la plus adaptée.

Ce qu’il ne faut pas oublier

Quelle que soit la solution retenue, cession ou licence de marque, il convient d’être assisté dans la négociation et de faire rédiger un contrat par un professionnel du droit des marques, éventuellement épaulé par un conseil en droit fiscal, et de le faire ensuite inscrire auprès de l’office de marques concerné pour le rendre opposable aux tiers.

Car c’est seulement à compter de la date de la publicité de l’inscription du contrat au registre des marques que naissent, aux yeux des tiers, les droits du cessionnaire ou du licencié de la marque.

© [INSCRIPTA]

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