Une décision du Tribunal de grande instance de Paris du 17 mars 2016 (3e ch., 4e sect., RG 2015/06994) a doublement retenu notre attention ces dernières semaines.

BENTLEY MOTORS LTD, le fabriquant d’automobiles britannique, désormais filiale du groupe Volkswagen, a constaté qu’une société chinoise avait déposé en 2013 des marques françaises portant sur les signes JACK BENTLEY, BENTLEY JACK et B JACK BENTLEY (marque semi-figurative) pour diverses boissons alcoolisées.

BENTLEY MOTORS est quant à elle titulaire des marques françaises antérieures BENTLEY et B (marque semi-figurative) désignant de très nombreux produits et services sans grand rapport les uns avec les autres, parmi lesquels toutefois des véhicules.

La société britannique entendait faire reconnaître que l’utilisation des marques JACK BENTLEY, BENTLEY JACK et B JACK BENTLEY par la société chinoise constituait une atteinte à ses propres marques, selon elle renommées, au sens des dispositions de l’article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle.

Selon cet article, « la reproduction ou l’imitation d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière. »

Cela supposait, par hypothèse, de démontrer avant toute chose que les marques BENTLEY et le logo B étaient bien des marques renommées.

Pour l’intégralité des produits et services visés par les marques BENTLEY, le défi aurait été vraisemblablement impossible à relever. Mais, en ce qui concerne les véhicules automobiles, l’on aurait pu croire que l’objectif n’était pas hors d’atteinte.

Et pourtant, le tribunal a considéré que la société BENTLEY MOTORS échouait à démontrer le degré de connaissance de ses marques par le public français et qu’elle ne justifiait pas de la renommée des deux marques en cause.

Cela peut paraître surprenant. Peut-être ne partirez-vous pas en vacances en BENTLEY cet été, mais vous connaissez très certainement la marque BENTLEY et son logo.

Alors, pourquoi une telle décision ?

C’est en réalité un problème de preuve. Comme le rappelle le tribunal, « Est renommée une marque connue d’une partie significative du public concerné pour les produits et services qu’elle désigne […] Pour vérifier si cette condition est satisfaite, il convient de prendre en considération divers éléments pertinents comme la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’extension géographique et la durée de son usage, et l’importance des efforts publicitaires consentis pour la promouvoir ».

Or le dossier produit par BENTLEY MOTORS n’a pas convaincu le tribunal et cette décision était pourtant prévisible, tout du moins pour un spécialiste du droit des marques, car il manquait une pièce essentielle, un élément de preuve devenu incontournable en la matière : un sondage auprès du public. Car, depuis la décision de la CJUE dans l’affaire GENERAL MOTORS en 1999, plus précisément depuis que les tribunaux français interprètent le droit français à la lumière du droit et de la jurisprudence communautaires, les sondages sont devenus indispensables pour établir la notoriété d’une marque en France.

La société britannique aura peut-être l’occasion de corriger sa défaillance en appel, si appel il y a.

Cela étant, BENTLEY MOTORS a néanmoins réussi à obtenir du tribunal la nullité des marques JACK BENTLEY, BENTLEY JACK et B JACK BENTLEY sur un autre fondement, plus subtil, mélangé de droit des marques et de dispositions relatives à la santé publique.

Le Code de la santé publique interdit toute publicité indirecte en faveur de l’alcool. Or, selon les termes mêmes du tribunal, « est considérée comme une publicité indirecte en faveur d’une boisson alcoolique et comme telle soumise aux restrictions prévues par l’article L.3323-2 du Code de la santé publique, la publicité en faveur d’un produit autre qu’une boisson alcoolique qui par l’utilisation d’une marque rappelle une telle boisson ».

BENTLEY MOTORS soutenait que l’existence des marques litigieuses, déposées pour des boissons alcoolisées, risquait de la restreindre sur le terrain publicitaire puisque ses propres publicités auraient pu être interprétées comme faisant indirectement la promotion des boissons alcooliques de la société chinoise.

En opportunité, l’argument est pour le moins ironique puisque les marques BENTLEY de la société britannique visent également de tels produits (même s’il semble qu’elles ne soient pas exploitées dans ce domaine).

Mais en droit, il est parfaitement recevable et il a d’ailleurs été entendu par les juges qui, après avoir considéré qu’il existait un risque de confusion entre les marques BENTLEY d’une part et les marques JACK BENTLEY, BENTLEY JACK et B JACK BENTLEY d’autre part, se décidèrent à prononcer la nullité de ces dernières compte tenu de l’atteinte aux droits antérieurs de BENTLEY MOTORS.

A défaut d’appel, il faudra bien que la société BENTLEY MOTORS se contente de cette annulation puisque sa demande de dommages-intérêts a été intégralement rejetée, encore pour défaut de preuve.

© [INSCRIPTA]

Cet article a également été publié sur le Village de la Justice.

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