Dans le cadre d’un litige opposant la société de vente en ligne Vente-privee.com au déposant de la marque CECILE DE ROSTAND pour des articles de maroquinerie, linge de maison et vêtements, les différences entre marque et nom commercial ont été précisées par le Tribunal de grande instance de Nanterre (1).
Vente-privee.com, pour obtenir la nullité de la marque éponyme du personnage virtuel qui personnifie son service relations clientèle, dont émane les emails aux membres de la communauté, a usé de tous les arguments juridiques à sa disposition : cet enregistrement porterait atteinte à ses droits sur CECILE DE ROSTAND à titre de marque notoire non enregistrée, à titre de nom commercial, à titre de nom de domaine, ou encore au titre du droit d’auteur ; l’enregistrement aurait également été demandé en fraude des droits de Vente-privee.com, dont le déposant connaissait l’existence pour être membre du réseau Vente-privee.com.
Le tribunal fait droit à l’ensemble des demandes de Vente-privee.com, reconnaissant que CECILE DE ROSTAND constitue le nom commercial de la société en rappelant que :
« Le nom commercial est l’appellation sous laquelle l’entreprise commerciale est exploitée et connue de sa clientèle. Le droit au nom commercial s’acquiert par le premier usage public. A partir de cette date, ce signe distinctif a une priorité d’usage sur une marque sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve d’une publication au registre du commerce ou même que le déposant de la marque en a eu personnellement connaissance.
Il n’est pas nécessaire que le nom commercial soit connu du public mais il doit être établi que le titulaire du signe exerce son activité sur l’ensemble du territoire. »
Les courriers électroniques de confirmation d’inscription ou de commandes, d’annonce de ventes, ou de réponse à des membres du site, expédiés massivement depuis 2003 par « Cécile de Rostand » depuis l’adresse cderostand@vente.privee.com aux membres résidant dans la France entière, l’animation sous le nom Cécile de Rostand de blog et compte Twitter du site de vente-privee.com, sont autant d’éléments venant démontrer l’usage du signe Cécile de Rostand « en tant que dénomination sous laquelle la société Vente-privée.com désigne l’entreprise qu’elle exploite pour l’identifier dans ses rapports avec la clientèle. »
Le nom est donc protégé à titre de nom commercial pour les activités d’achat, de vente en France et à l’étranger de produits de consommation et d’équipements par tous moyens et en particulier par les outils et moyens de commerce électronique et constitue une antériorité au dépôt et à l’exploitation d’une marque désignant les produits objets de cette activité de revente.
En revanche, cet usage n’a pas fait de CECILE DE ROSTAND « un signe permettant au public d’identifier l’origine de produits et services offerts par la demanderesse » et donc d’être qualifié de marque notoire non enregistrée.
En d’autres termes, CECILE DE ROSTAND identifie la société, mais pas ses activités, au contraire de vente-privee.com, qui est tout à la fois la dénomination sociale, le nom commercial et la marque de la société.
Un autre point intéressant de ce jugement concerne la reconnaissance des droits d’auteur de Vente-privee.com sur le personnage que la société a créé pour l’incarner auprès de sa clientèle, dont les éléments originaux propres à caractériser la personnalité de son auteur seraient les suivants :
- l’apparence du personnage de Cécile de Rostand, incarné sous les traits d’une jeune et jolie femme brune, laquelle illustrait le blog et le forum de discussion Cécile de Rostand,
- le caractère de cette jeune femme, empreint d’une certaine “épaisseur humaine” notamment au regard de son style d’écriture,
- son nom, inspiré des patronymes du dramaturge Edmond Rostand et de l’écrivain Jean Rostand auxquels elle a ajouté la particule “de”, contribuant à la rareté du patronyme et créant un décalage entre l’époque surannée évoquée par une particule nobiliaire et le caractère avant-gardiste de la société Vente-privée.com qui a créé les ventes évènementielles en ligne et est le premier opérateur d’un site internet à avoir utilisé un personnage pour humaniser celui-ci,
- les titres “Le blog de Cécile de Rostand” et “Le billet de Cécile” du forum de discussions de Cécile de Rostand.
Selon le tribunal, ces éléments caractérisent l’empreinte de la personnalité de leur auteur. En outre, en l’absence de revendication de personnes physiques, la divulgation de l’œuvre revendiquée sous le nom de la société Vente-privée.com fait présumer qu’elle est titulaire des droits d’auteur sur celle-ci, en application d’une interprétation désormais classique de l’article L.113-1 du Code de la propriété intellectuelle (2).
Ainsi, il est reconnu à une personne morale des droits d’auteur sur le nom d’une personne virtuelle. Le droit de la propriété intellectuelle est tellement abstrait qu’il devient difficile à saisir.
© [INSCRIPTA]
(1) Tribunal de grande instance de Nanterre, pôle civil, 1ère chambre, 3 décembre 2015, Vente-privee.com c. M. J-J. N., JKC Finance.
(2) Article L. 113-1 du CPI : « La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée. »