Certaines situations nécessitent parfois l’envoi de courriers de mise en demeure, pour demander à un tiers de faire ou de ne pas faire certaines choses, ou bien l’envoi de courriers de mise en connaissance, pour informer le destinataire de droits existants et les leurs rendre opposables. Ces courriers, bien qu’envoyés dans un cadre amiable, peuvent être considérés comme abusifs et leur envoi sanctionné par les tribunaux.

Selon le droit français, les faits de contrefaçon de brevet (l’offre, la mise dans le commerce, l’utilisation, la détention en vue de l’utilisation ou la mise dans le commerce d’un produit contrefaisant), lorsque ces faits sont commis par une autre personne que le fabricant du produit contrefaisant, n’engagent la responsabilité de leur auteur que si les faits ont été commis en connaissance de cause (article L.615-1 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle).

Porter à la connaissance d’un futur acheteur ou distributeur l’existence d’un brevet est donc nécessaire pour pouvoir agir à son encontre. Encore faut-il que le courrier dit de mise en connaissance soit présenté de telle façon qu’il apporte seulement une information et soit mesuré. Mais il ne doit contenir aucune menace de quelque nature que ce soit, et il ne doit pas être envoyé avant la délivrance du titre.

Le Tribunal de grande instance de Paris (3e ch., 2e sect., 13 janvier 2017, RG 2015/03165) rappelle de façon circonstanciée qu’une lettre de mise en garde ou en connaissance de cause, adressée à un acheteur du produit prétendument contrefaisant peut être source de responsabilité si elle est délivrée de façon fautive :

« A la suite de la saisie-contrefaçon diligentée le 22 juillet 2011 au siège de la société X, la société Y, qui a saisi le fichier des clients de la société X, a adressé à l’ensemble de ces derniers une lettre recommandée avec accusé réception datée du 19 septembre 2011, à l’entête du cabinet Z, Conseil en propriété industrielle, indiquant notamment qu’une demande de brevet européen avait été déposée le 15 novembre 2005 publiée sous le n° EP 1 836 111 dont la traduction en langue française a été publiée par l’INPI le 1er juillet 2011, que le 16 juin 2011 l’office européen des brevets a indiqué son intention de procéder prochainement à la délivrance du brevet européen dont elle adresse une copie de la traduction en langue française des revendications, qu’il y a lieu d’attirer l’attention sur les termes de l’articles L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle, ladite lettre ayant pour effet de mettre son destinataire en connaissance de cause aux termes dudit article, le courrier se terminant par une invitation à vérifier que les équipements de l’établissement du destinataire ne portent pas atteinte aux droits de brevet « dont l’objet est défini par les revendications d’appareil et de procédé sur la base desquelles l’OEB a l’intention de délivrer un brevet européen (…) ».

Si les termes de ce courrier se présentent comme une information objective et mesurée ne présentant pas de ce fait un caractère fautif, en revanche la double circonstance de ce qu’il a été adressé de façon prématurée, avant la délivrance du brevet qui n’a été publiée au bulletin européen des brevets que le 11 janvier 2012, et qu’il a été envoyé de façon systématique à l’ensemble des clients de la société X dont les adresses avaient été obtenues un peu plus d’un mois auparavant par la voie de la saisie contrefaçon, clients invités à vérifier si les équipements qu’ils ont acquis auprès de la société X ne portent pas atteinte à un brevet non encore délivré, constitue un comportement déloyal à l’encontre de la société X, son principal concurrent sur le secteur, ou à tout le moins une faute d’imprudence. »

Ces agissements considérés comme fautifs au sens des articles 1240 et 1241 du Code civil ayant entrainé des désistements de commande attestés par les clients concernés, la société Y a été condamnée à rembourser la perte de marge sur les ventes annulées ou non passées, soit 330.000€ et à verser 20.000€ de dommages et intérêts pour atteinte à son image.

La loi française ne contient pas de dispositions spécifiques et le jugement est donc fondé sur le droit civil. D’autres pays disposent de lois spécifiques, à l’instar du Royaume-Uni qui vient de préciser la législation concernant les menaces d’action en contrefaçon infondées (Intellectual Property (Unjustified Threats) Act 2017, entré en vigueur depuis le 1er octobre 2017).

Cette loi harmonise les conditions de l’action en responsabilité et réforme le droit des brevets, des marques et des dessins et modèles. Le texte apporte des précisions utiles en :

  • Définissant ce qui constitue un courrier de menace d’action en contrefaçon : le destinataire doit comprendre à la lecture du courrier (i) l’existence d’un titre de propriété industrielle, (ii) qu’une action en contrefaçon va être engagée (iii) pour des faits qui se sont déroulés au Royaume-Uni ;
  • Listant les menaces qui peuvent justifier qu’une action soit engagée par la personne lésée (actionable threat) ;
  • Énonçant les exceptions licites (non actionable threats / communications for permitted purposes) ;
  • Prévoyant une exclusion de responsabilité pour les conseils (professional advisers).

Les courriers de mise en demeure ou de mise en connaissance peuvent donc être lourds de conséquence et nécessitent impérativement l’accompagnement d’un conseil en propriété industrielle, pour que le titulaire du titre de PI ne se retrouve pas dans la situation peu enviable de l’arroseur arrosé.

© [INSCRIPTA]

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