Loi du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon

20 Mar 2014 | Brevets, Droit d'auteur, Marques, Modèles, Toutes

La loi française N°2014-315 renforçant la lutte contre la contrefaçon a été promulguée le 11 mars 2014, et publiée au Journal Officiel du lendemain (1).

Après l’engagement de la procédure accélérée par le Gouvernement, seuls six mois auront été nécessaires entre le premier vote du Sénat et l’adoption du texte définitif le 26 février 2014, l’Assemblée nationale ayant donné son approbation entretemps, ce qui témoigne du consensus qu’a suscité le sujet au sein de la classe politique.

Nous retiendrons quelques points parmi les nombreux apports de ce texte (2).

Amélioration des dédommagements civils

Pour parvenir à cette fin, la nouvelle loi clarifie et uniformise les dispositions du Code de la propriété intellectuelle relatives à la fixation des dommages-intérêts par les tribunaux, en matière de contrefaçon de droits d’auteur, de dessins et modèles, de brevets, de certificats d’obtention végétale, de marques et d’indications géographiques.

Les articles L.331-1-3 (droits d’auteur), L.521-7 (dessins et modèles), L.615-7 (brevets), L.623-28 (certificats d’obtention végétale) et L.716-14 (marques) prévoient désormais que :

« Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon [ou l’atteinte aux droits], dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur [ou l’auteur de l’atteinte aux droits], y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon [ou l’atteinte aux droits].

Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur [ou l’auteur de l’atteinte] avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. »

L’article L.722-6, en matière d’indications géographiques, est rédigé de la même manière, à l’exception de la dernière phrase, assez logiquement omise.

On notera avec satisfaction l’apparition explicite de la prise en considération de la « perte » subie par la victime de la contrefaçon, et la précision de ce que, parmi les bénéfices réalisés par le contrefacteur, il faut prendre en compte ses « économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels ». Il est en effet admis sans difficulté que ces économies sont bien souvent la première source de bénéfice des contrefacteurs qui tirent profit, entre autres, des investissements de création, de design, de recherche et développement, de marketing, de publicité, etc. réalisés par les titulaires de droits de propriété intellectuelle et industrielle (3).

Par ailleurs, en imposant aux juges de « distinguer » les différents postes d’indemnisation, le législateur a vraisemblablement dans l’espoir que les condamnations s’en trouveront plus détaillées et donc sans doute plus lourdes dans leur quantum. En tout état de cause, cela permettra aux justiciables et aux lecteurs des décisions de justice de mieux comprendre le raisonnement des magistrats quant au calcul des dommages-intérêts, qui restait parfois, il faut bien l’avouer, difficile à saisir. Mais il faut se montrer juste, cela doit également inciter les demandeurs en contrefaçon et leurs avocats à faire la démonstration du préjudice invoqué de façon précise et sérieuse, et de ne pas se contenter de réclamer des sommes sans la moindre explication. Ainsi, il ne faudra plus hésiter à communiquer des documents et informations sociaux, commerciaux et comptables permettant d’évaluer les investissements des entreprises en matière de R&D, de design, mais également de communication, de marketing ou de publicité.

Enfin, relevons que si le demandeur souhaite obtenir une indemnisation forfaitaire, celle-ci devra nécessairement être supérieure à ce qui aurait été dû dans le cadre d’une licence (et non plus seulement au minimum égale) et n’empêche pas, cumulativement, une indemnisation du préjudice moral.

Amélioration des dispositifs de preuve de la contrefaçon

Cette amélioration est construite autour de trois axes.

Droit à l’information

Premièrement, il est précisé, via des modifications qui peuvent apparaître purement formelles, que dans toutes les matières de la propriété intellectuelle (droits d’auteur, dessins et modèles, brevets, certificats d’obtention végétale, marques et indications géographiques), la procédure du droit à l’information peut être mise en œuvre avant même la condamnation au fond pour contrefaçon, y compris par le juge des référés.

La rédaction antérieure des articles L.331-1-2 (droits d’auteur), L.521-5 (dessins et modèles), L.615-5-2 (brevets), L.623-27-2 (certificats d’obtention végétale), L.716-7-1 (marques) et L.722-5 (indications géographiques) avait en effet engendré un important contentieux à ce sujet et certaines juridictions avaient un temps considéré que la procédure du droit à l’information ne pouvait être ordonnée par le juge qu’une fois le litige tranché sur le fond, pour obtenir des éléments de preuve complémentaires relatifs à la détermination de l’origine et des réseaux de distribution des produits jugés contrefaisants.

Par ailleurs, la liste des documents ou informations qui pouvaient être réclamés a été opportunément supprimée, laissant ainsi toute latitude (ou presque) aux magistrats pour déterminer la portée de leur mesure d’instruction.

Désormais, le texte se lit ainsi (par exemple pour l’article L.716-7-1 en droit des marques) :

« Si la demande lui en est faite, la juridiction saisie au fond ou en référé d’une procédure civile prévue au présent titre peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits argués de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argués de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services.

La production de documents ou d’informations peut être ordonnée s’il n’existe pas d’empêchement légitime. »

Saisie-contrefaçon

Deuxièmement, la procédure de saisie-contrefaçon en matière de droits de propriété intellectuelle est uniformisée grâce à l’alignement des procédures applicables en droit d’auteur ou aux logiciels et bases de données sur celles en vigueur pour les droits de propriété industrielle.

Les articles L.332-1 et L.332-4 se trouvent également copieusement allongés, le législateur ayant visiblement cherché à adapter la procédure aux particularités de ces matières (4).

En revanche, la sanction du non-engagement d’une action judiciaire après une saisie-contrefaçon en matière de droits d’auteur est durcie, alignée sur les dispositions qui existaient déjà pour les titres de propriété industrielle.

Désormais, selon l’article L.332-3 :

« A défaut pour le saisissant, dans un délai fixé par voie réglementaire, soit de s’être pourvu au fond, par la voie civile ou pénale, soit d’avoir déposé une plainte devant le procureur de la République, l’intégralité de la saisie, y compris la description, est annulée à la demande du saisi ou du tiers saisi, sans que celui-ci ait à motiver sa demande et sans préjudice des dommages et intérêts qui peuvent être réclamés. »

Pour les bases de données et les droits de propriété industrielle, on note l’apparition d’une nouvelle phrase autorisant la « saisie réelle de tout document se rapportant aux produits et services prétendus contrefaisants en l’absence de ces derniers », ce qui devrait faciliter la réunion de preuves documentaires sur la masse contrefaisante, ainsi que la possibilité de procéder à une simple description détaillée des matériels et instruments utilisés pour fabriquer ou distribuer les produits ou fournir les services prétendus contrefaisants, et non plus nécessairement à leur saisie réelle.

Les articles L.343-1 (bases de données), L.521-4 (dessins et modèles), L.615-5 (brevets), L.623-27-1 (certificats d’obtention végétale), L.716-7 (marques) et L.722-4 (indications géographiques) sont modifiés en conséquence.

Preuves complémentaires

Il est enfin inséré des dispositions permettant explicitement aux juges d’ordonner toutes mesures d’instruction complémentaires qui seraient nécessaires pour l’aider dans sa prise de décision, et ce, pour tous les droits de propriété intellectuelle.

Les articles L.332-1-1 (droits d’auteur), L.343-1-1 (bases de données), L.521-4-1 (dessins et modèles), L.615-5-1-1 (brevets), L.623-27-1-1 (certificats d’obtention végétale), L.716-7-1-A (marques) et L.722-4-1 (indications géographiques) sont créés.

Ainsi, l’article L.716-7-1-A, en droit des marques, dispose :

« La juridiction peut ordonner, d’office ou à la demande de toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon, toutes les mesures d’instruction légalement admissibles même si une saisie-contrefaçon n’a pas préalablement été ordonnée dans les conditions prévues à l’article L. 716-7. »

Harmonisation du délai de prescription en matière de contrefaçon

Jusqu’à présent, les actions en contrefaçon de droit d’auteur se prescrivaient par cinq ans, en application du droit commun et spécialement de l’article 2224 du Code civil, tandis que les actions en contrefaçon de droits de propriété industrielle, ou les actions en revendication, se prescrivaient par trois ans.

Le législateur a mis fin à cette divergence en décidant de porter à cinq ans le délai de prescription pour l’ensemble des droits de propriété industrielle.

Les articles L.511-10 et L.521-3 (dessins et modèles), L.611-8 et L.615-8 (brevets), L.622-3 (produits semi-conducteurs) et L.623-29 (certificats d’obtention végétale), L.712-6 et L.716-5 (marques) ont donc été modifiés en ce sens.

Au-delà de l’harmonisation ainsi réalisée, l’effet le plus notable de cette réforme réside bien évidemment dans un allongement du délai de prescription des actions en revendication et des actions en contrefaçon de droits de propriété industrielle, qui va dans le sens d’une protection renforcée et d’une meilleure prise en compte des intérêts des titulaires de droits. Cumulées aux dispositions concernant l’amélioration des dédommagements civils, ces modifications vont mécaniquement permettre l’allocation de davantage de dommages-intérêts pour les victimes de contrefaçon.

Meilleure considération donnée aux indications géographiques

Jusqu’à présent, « Toute atteinte portée à une indication géographique engage[ait] la responsabilité civile de son auteur » (ancien article L.722-1 du Code de la propriété intellectuelle).

Désormais, on peut lire que « Toute atteinte portée à une indication géographique en violation de la protection qui lui est accordée par le droit de l’Union européenne ou la législation nationale constitue une contrefaçon engageant la responsabilité de son auteur » (article L.722-1 du Code de la propriété intellectuelle).

Le législateur a donc décidé d’envoyer un message fort : l’atteinte à une indication géographique protégée par le droit communautaire ou le droit français est une contrefaçon.

Cette réforme est cohérente avec la démarche législative actuelle portant sur la protection, à titre d’indications géographiques, des produits industriels et artisanaux (5).

Consolidation et continuité de la formation des conseils en propriété industrielle

En France, les juristes spécialistes de la propriété intellectuelle se répartissent en trois grandes catégories :

  • Les conseils en propriété industrielle, qui exercent de façon indépendante une profession réglementée par le Code de la propriété intellectuelle, et sont inscrits à ce titre sur la liste établie par le Directeur de l’INPI, avec une mention de spécialisation en fonction des diplômes détenus et de la pratique professionnelle acquise ;
  • Les avocats qui, pour certains seulement, sont titulaires d’une mention de spécialisation en propriété intellectuelle ;
  • Les juristes en entreprise, qui exercent dans les départements juridiques de propriété intellectuelle ou industrielle.

La loi du 11 mars 2014 crée une obligation légale de formation continue pour les conseils en propriété industrielle, sous le contrôle de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI).

Même si des dispositions réglementaires sont encore attendues pour que cette nouvelle obligation devienne véritablement effective, il faut selon nous se réjouir de son adoption par le législateur. La conséquence devrait logiquement être une compétence accrue et une technicité juridique renforcée pour les conseils en propriété industrielle, qui constituent d’ores et déjà les professionnels de la propriété intellectuelle les plus qualifiés.

Nul doute que cette obligation de formation continue devrait également contribuer à une meilleure image de la profession auprès de la clientèle française mais également au sein de la communauté internationale, concourant ainsi au rayonnement de la France en matière de protection de la création et de l’innovation.

© [INSCRIPTA]

(1) Nous vous en parlions dès le mois de décembre 2013. Voir notre article au sujet de la proposition adoptée par le Sénat le 20 novembre 2013.

(2) Nous n’abordons pas ici les apports de la nouvelle loi concernant le renforcement des moyens d’action des douanes, auquel nous avons décidé de dédier un article particulier, compte tenu de son importance et de sa technicité.

(3) La notion d’économie d’investissement fait partie des éléments traditionnellement indemnisés dans le cadre de la sanction d’actes de parasitisme, puisqu’il consiste, pour un acteur économique, dans le fait de s’inspirer ou de copier une valeur économique, lui procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel ou d’un investissement.

(4) Le nouvel article L.332-1 est donc ainsi rédigé :

« Tout auteur d’une œuvre protégée par le livre Ier de la présente partie, ses ayants droit ou ses ayants cause peuvent agir en contrefaçon. A cet effet, ces personnes sont en droit de faire procéder par tous huissiers, le cas échéant assistés par des experts désignés par le demandeur, sur ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d’échantillons, soit à la saisie réelle des œuvres prétendument contrefaisantes ainsi que de tout document s’y rapportant. L’ordonnance peut autoriser la saisie réelle de tout document se rapportant aux œuvres prétendument contrefaisantes en l’absence de ces dernières.

La juridiction peut ordonner la description détaillée ou la saisie réelle des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer illicitement les œuvres.

A cet effet, la juridiction peut ordonner :

1° La saisie des exemplaires constituant une reproduction illicite d’une œuvre de l’esprit protégée par le livre Ier de la présente partie ou de tout exemplaire, produit, appareil, dispositif, composant ou moyen portant atteinte aux mesures techniques et aux informations mentionnées, respectivement, aux articles L. 331-5 et L. 331-11 ;

2° La saisie, quels que soient le jour et l’heure, des exemplaires constituant une reproduction illicite de l’œuvre, déjà fabriqués ou en cours de fabrication, ou des exemplaires, produits, appareils, dispositifs, composants ou moyens, fabriqués ou en cours de fabrication, portant atteinte aux mesures techniques et aux informations mentionnées, respectivement, aux articles L. 331-5 et L. 331-11, des recettes réalisées, ainsi que des exemplaires illicitement utilisés ;

3° La saisie des recettes provenant de toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit, effectuée en violation des droits de l’auteur ou provenant d’une atteinte aux mesures techniques et aux informations mentionnées, respectivement, aux articles L. 331-5 et L. 331-11 ;

4° La saisie réelle des œuvres illicites ou produits soupçonnés de porter atteinte à un droit d’auteur ou leur remise entre les mains d’un tiers afin d’empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux.

La juridiction civile compétente peut également ordonner :

a) La suspension ou la prorogation des représentations ou des exécutions publiques en cours ou déjà annoncées ;

b) La suspension de toute fabrication en cours tendant à la reproduction illicite d’une œuvre ou à la réalisation d’une atteinte aux mesures techniques et aux informations mentionnées, respectivement, aux articles L. 331-5 et L. 331-11.

Elle peut subordonner l’exécution des mesures qu’elle ordonne à la constitution par le demandeur de garanties destinées à assurer l’indemnisation éventuelle du défendeur si l’action en contrefaçon est ultérieurement jugée non fondée ou la saisie annulée.

Elle peut, dans les mêmes formes, ordonner les mesures prévues au présent article à la demande des titulaires de droits voisins définis au livre II de la présente partie. »

(5) L’Assemblée nationale a adopté un texte relatif à la consommation (en général) le 13 février 2014 dans lequel des mesures spécifiques sont proposées. Le 13 mars 2014, le Conseil constitutionnel a rendu une décision qui ne devrait pas affecter ces mesures.

Une version de cet article a également été publié sur le Village de la Justice.

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