Le juge du brevet ne serait pas forcément le juge de la licence de brevet

16 Mar 2016 | Brevets, Toutes

Rappelons avant toute chose que le législateur a souhaité confier la délicate matière de la propriété intellectuelle et industrielle à certains tribunaux uniquement, dans un but de plus grande spécialisation des magistrats et sans doute dans l’espoir d’une meilleure justice (tout du moins d’une meilleure qualité des décisions rendues).

Sont ainsi seuls compétents, en matière de propriété littéraire et artistique, de dessins et modèles, de marques et d’indications géographiques, les tribunaux de grande instance de Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nanterre, Nancy, Paris, Rennes, Strasbourg et de Fort-de-France (article D. 211-6-1 du Code de l’organisation judiciaire et son Annexe).

Mais en matière de brevets, le choix du législateur a été encore plus radical, vraisemblablement en raison de la technicité du sujet. Seul le Tribunal de grande instance de Paris est donc compétent. Et il est également compétent pour les matières rattachées aux brevets d’invention que sont les certificats d’utilité, les certificats complémentaires de protection et les topographies de produits semi-conducteurs (article D211-6 du Code de l’organisation judiciaire).

En théorie, il n’y a donc pas débat. « Les actions civiles et les demandes relatives aux brevets d’invention » sont exclusivement portées devant le Tribunal de grande instance de Paris, pour reprendre en partie la formulation de l’article L.615-17 du Code de la propriété intellectuelle.

Mais quid en matière de contrat portant sur un brevet ?

C’est la question à laquelle la Cour d’appel de Lyon vient de répondre dans un litige opposant les deux parties à un contrat de licence de brevet.

Les titulaires d’un brevet souhaitaient rompre le contrat qui les liait à leur licenciée lorsqu’un différend survint au sujet du paiement des redevances. Estimant que le litige relevait du droit des brevets, le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse se déclara incompétent (ch. civ., 13 juillet 2015, RG 2014/01408).

Mais la cour d’appel suivit un autre raisonnement (CA Lyon, 1re ch. civ. A, 28 janvier 2016, RG 2015/06886). Elle constata que le litige ne portait pas sur le brevet d’invention lui-même mais uniquement sur le contrat de licence. Selon les magistrats, il ne s’agit donc pas d’une action relative au brevet et « la technique du droit des brevets n’est pas en cause car le brevet n’est pas contesté ou discuté par les parties et aucune conséquence civile attachée directement à celui-ci n’est en jeu ». La cour en tira pour conséquence que les règles de compétence matérielle de droit commun devaient s’appliquer, et le Tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse fut reconnu compétent.

C’est ainsi que le juge du brevet ne serait pas toujours le juge du contrat portant sur un brevet.

Il y a cependant quelque chose de dérangeant dans cette décision. En décidant, avant toute instance au fond et avant même que les parties soient entendues sur l’intégralité du litige, que l’action ne portait pas sur le brevet ni sur la technique du droit des brevets, la cour d’appel n’a-t-elle pas préjugé de l’affaire ? N’a-t-elle pas préalablement circonscrit le litige à des questions de nature purement contractuelles ? Ne prive-t-elle pas ainsi les parties de soulever la moindre question, fût-elle connexe ou accessoire, qui soit en relation avec le brevet ou qui relève de la matière des brevets ?

D’un point de vue politique, cette décision n’est-elle pas en contradiction avec la volonté du législateur de confier l’intégralité du contentieux en matière de brevets à une seule et même juridiction ?

Et désormais, le Tribunal de grande instance de Paris pourrait-il se déclarer incompétent pour juger de questions contractuelles en matière de brevets intéressant des parties hors de son ressort territorial ? Ou bien, si elles sont de son ressort territorial, les renverrait-il devant le tribunal de commerce si les conditions étaient réunies ?

Ces questions méritent à notre sens d’être posées. Et la Cour de cassation serait bienvenue à y apporter des réponses, tant est qu’elle soit saisie d’un pourvoi.

© [INSCRIPTA]

Cet article a également été publié sur le Village de la Justice.

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