En avril dernier, la Cour d’appel de Paris a ouvert la voie à la possibilité pour un huissier de procéder à une saisie-contrefaçon de produits commandés sur internet depuis un site marchand.
Plus précisément, la cour a validé la méthode suivie par un huissier de procéder d’abord à un constat d’achat sur internet avant de réaliser dans ses propres locaux, sur autorisation judiciaire, une saisie-contrefaçon des produits achetés en ligne, hors la présence de la partie saisie et sans même que celle-ci n’en ait été informée avant que l’assignation ne lui fût délivrée (Pôle 5, chambre 2, 26 avril 2013, Core Distribution, Miral Conseil / Castorama France et autres).
Une société américaine copropriétaire d’un brevet européen portant sur une échelle télescopique (et ses procédés de fabrication) et son distributeur exclusif en France estimaient qu’un modèle d’échelle contrefaisant était mis en vente par une enseigne de distribution de matériel de bricolage sur son site internet.
Désirant obtenir des preuves des actes litigieux mais ne pouvant faire exécuter une saisie-contrefaçon dans un magasin de l’enseigne, puisque les produits allégués contrefaisants n’y étaient pas distribués, la société américaine avait requis d’un huissier qu’il commande trois échelles télescopiques sur internet, se les fasse livrer, puis dresse un constat d’achat. Ensuite, sur la base de ce premier constat et dûment autorisée par le Président du Tribunal de grande instance de Paris en application des dispositions de l’article L.615-5 du Code de la propriété intellectuelle, la société américaine a fait pratiquer par le même huissier une saisie-contrefaçon sur les échelles qui se trouvaient entre ses propres mains.
La partie saisie et ses codéfendeurs (devenus en appel co-intimés) critiquaient la procédure précitée en particulier pour méconnaissance d’un certain nombre de règles spécifiques à la saisie-contrefaçon et pour non-respect du principe du contradictoire. Mais la cour d’appel décida de valider le procédé, pour particulier qu’il soit.
Concernant le constat d’achat, la cour relève que « l’huissier [a] le droit de procéder à des constatations à la requête de particuliers, qu’il était habile à le faire sans autorisation préalable dès lors qu’il a procédé à un achat à domicile sans pénétrer dans la propriété d’un tiers et qu’il a dûment décliné son identité avant de procéder à l’achat litigieux sur le site marchand ».
Concernant la mesure la plus critiquée, la cour rappelle que l’article L.615-5 précité autorise à faire pratiquer une saisie-contrefaçon « en tout lieu », et donc notamment dans les propres locaux de l’huissier, dès lors qu’existait un contexte particulier lié à la disponibilité des produits litigieux. En première instance, le tribunal avait jugé de façon plus générale « qu’aucun texte n’interdit que soit pratiquée une saisie-contrefaçon entre les mains d’une personne autre que le contrefacteur ».
Sur la violation du principe du contradictoire, la cour ne peut que constater que « la succession de ces actes d’huissier […] n’a pas donné lieu à la remise à la société [saisie], préalablement aux opérations de saisie-contrefaçon, de l’ordonnance l’autorisant pas plus que ne lui a été signifié le procès-verbal de saisie-contrefaçon mentionnant les voies de recours qui lui étaient ouvertes ». Elle considère toutefois « que les opérations litigieuses se sont bornées à décrire de manière détaillée […] l’échelle télescopique [litigieuse] sans pénétrer dans les locaux de la société [saisie] et sans saisie de documents susceptibles de se rapporter aux faits de contrefaçon incriminés » et relève que, alors qu’il était loisible à la société saisie de contester la mesure lorsqu’elle en a eu connaissance, au moment de la délivrance de l’acte introductif d’instance, elle s’en est pourtant abstenue.
La cour refuse donc, « dans ce contexte particulier », de prononcer la nullité des procès-verbaux de constat d’achat et de saisie-contrefaçon. Cela étant, nombre de revendications de la partie française du brevet européen fondant l’action furent néanmoins déclarées nulles et les demandeurs/appelants déboutés de leur demande en contrefaçon.
Cette décision doit être retenue car, s’il n’est pas possible au vu de la rédaction de l’arrêt d’en tirer un principe de validité générale du procédé suivi par l’huissier, elle constitue néanmoins une avancée pour les titulaires de droits qui savent désormais pouvoir mettre en œuvre la procédure spécifique de saisie-contrefaçon lorsque les produits incriminés ne sont pas distribués dans un réseau traditionnel mais sont uniquement disponibles sur internet.
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