Le droit et la propriété intellectuelle, facteurs de croissance

12 Oct 2018 | Brevets, Droit d'auteur, Internet, Marques, Modèles, Toutes

Cet article est la retranscription d’une présentation effectuée par Manuel ROCHE, Conseil en propriété industrielle et Président de la Commission Relations Internationales de la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle (CNCPI), lors du colloque international « Paris, European hub for business, digital, IP and tech law / Place européenne du droit des affaires, du numérique, de la PI et des technologies » qui a eu lieu le 11 octobre 2018, au Tribunal de grande instance de Paris, organisé à l’initiative de la CNCPI, avec le Barreau de Paris, France Brevets et l’Unifab.

 

I. En quoi les DPI sont-ils fondamentalement des facteurs de croissance pour les entreprises ?

Les titres de propriété industrielle sont des monopoles juridiquement concédés par les Etats à des opérateurs économiques, et portant sur des inventions ou innovations (les brevets), des signes distinctifs (les marques), des designs et ornements esthétiques (les dessins et modèles).

Il faut évidemment y ajouter les créations originales protégeables par le droit d’auteur.

La nature même de monopole fait que la propriété intellectuelle est traditionnellement perçue comme un arsenal juridique permettant d’interdire. Et c’est d’ailleurs ainsi que le Code de la propriété intellectuelle présente les attributs des droits de propriété intellectuelle (DPI), qui restent des exceptions au principe de la liberté du commerce et de l’industrie.

Ainsi présentés, les DPI ne sont pas en soi directement facteurs de croissance.

Pourtant, les DPI sont bien des facteurs de croissance internes pour les entreprises.

Incitation à l’innovation et contribution au progrès scientifique

Si des monopoles sont conférés, par exemple des brevets portant sur des inventions, c’est en quelque sorte pour récompenser les inventeurs. L’exclusivité d’exploitation accordée aux brevetés est la récompense des investissements accomplis en recherche et développement (R&D).

La protection conférée par les DPI est donc une incitation des entreprises à l’innovation.

Le monopole est aussi la contrepartie nécessaire pour s’assurer que les inventeurs contribuent au progrès scientifique en acceptant de divulguer leurs inventions, qui sont publiées et finiront par devenir libres de droit, par tomber dans le domaine public.

La valeur ajoutée des DPI

L’acquisition des DPI n’est pas une fin en soi.

Une entreprise n’innove pas dans le seul but de déposer un brevet. Elle innove pour être plus efficace que ses concurrents, pour garder un temps d’avance sur ses concurrents, ce qui lui permettra de gagner des parts de marché.

Une entreprise ne crée pas un signe distinctif dans le seul but de déposer une marque. La marque sert à véhiculer l’image de l’entreprise auprès du public et, de plus en plus, à transmettre des valeurs aux consommateurs. La marque est au cœur de la stratégie de communication et de commercialisation de l’entreprise.

Les DPI permettent à l’entreprise d’exister et d’être et de demeurer concurrentielle.

Les DPI leviers de croissance interne

Les DPI sont de formidables leviers de croissance au profit des entreprises, notamment des jeunes entreprises. Les DPI font partie des actifs les plus audités dans le cadre d’une levée de fonds ou d’une prise de participation.

Les investisseurs potentiels s’intéresseront avant toute chose à la technologie mise en œuvre par cette entreprise (s’agit-il d’une technologie propriétaire ? est-elle nouvelle ? est-elle protégée par un ou des brevets ? comment et où ont-ils été déposés ?). On auditera également la marque, signe de ralliement pour la clientèle actuelle mais surtout pour le potentiel de clientèle future (la marque est-elle distinctive ? est-elle bien déposée ? où est-elle protégée ?). Et il est évident qu’une entreprise titulaire de DPI sera davantage prise au sérieux et au final valorisée qu’une entreprise qui n’en a pas.

Les DPI rassurent les investisseurs car ils permettent de concrétiser et de sécuriser ce qui fait l’ADN d’une entreprise : son dynamisme interne, sa capacité à innover (les brevets), et son dynamisme externe, sa capacité à communiquer et à vendre (les marques).

Les DPI moteurs de croissance externe

Les DPI sont des actifs qu’il est possible de céder, de louer, d’échanger, de partager.

Par exemple, la licence de DPI est un vecteur de croissance extrêmement pertinent. Du point de vue du concédant, sans DPI ou sans DPI forts, une entreprise est dans l’obligation d’innover sans cesse pour demeurer compétitive. Mais elle doit également être en capacité de produire à hauteur de la demande à des coûts raisonnables, au risque que la clientèle ne se détourne au profit de concurrents. A l’inverse, si elle est titulaire de DPI, la licence permet à une entreprise de multiplier les volumes de production et de faire croître sa part de marché sans investissement significatif puisque ce sont le ou les licenciés qui prennent en charge la production additionnelle, permettant ainsi de répondre à la demande. Du point de vue du licencié, la prise de licence de DPI est également un outil de croissance en ce qu’il permet d’accéder à des innovations pour pénétrer un marché à moindre frais (les brevets) ou d’accéder à une clientèle déjà existante et stable sans nécessité d’investissements marketings importants (les marques).

 

II. Comment favoriser la croissance en promouvant les DPI ?

C’est avant tout le rôle de l’Etat, des Etats, que de créer un environnement légal et réglementaire favorable aux DPI. La France n’est pas en reste, bien au contraire.

Les incitations économiques

Il s’agit de l’ensemble des mécanismes que l’Etat met à disposition des entreprises pour inciter à la R&D et à l’innovation, et pour accompagner les entreprises.

Il existe des incitations fiscales, comme le crédit d’impôt recherche (CIR) (instrument indispensable pour attirer des investisseurs étrangers en France) ou le crédit d’impôt innovation (CII), ou le statut de jeune entreprise innovante (JEI) (exonération de charges fiscales et sociales).

Il existe aussi beaucoup de systèmes d’aides pour accompagner et financer les entreprises innovantes, dont la plupart sont aujourd’hui coordonnées par Bpifrance. Mais de nombreuses collectivités territoriales proposent également leurs propres modèles.

La loi PACTE en cours de discussion officialise la création d’un fonds pour l’innovation de rupture de 10 milliards d’euros, pour financer des projets à forte intensité technologique et comportant de grands enjeux pour notre souveraineté nationale comme l’intelligence artificielle (IA).

Il ne faut pas oublier les structures dédiées aux transferts de technologie que sont les SATT (sociétés d’accélération du transfert de technologies).

Les incitations légales

Les DPI font partie des outils et leviers disponibles pour accompagner le développement des entreprises, en créant un environnement favorable à leur croissance.

Le récent Paquet marques permet par exemple d’adapter le droit des marques aux marques de nouvelles générations qui sont de plus en plus utilisées par les opérateurs économiques.

Le renforcement de la valeur juridique et de la qualité des titres de PI doit aussi être un objectif constant pour le législateur.

La loi PACTE va transposer par exemple l’obligation de créer un dispositif de recours administratif rapide et peu coûteux contre les marques nationales enregistrées (requêtes en nullité ou en déchéance).

La loi PACTE prévoit encore de créer une procédure d’opposition en matière de brevets devant l’INPI, pour permettre « d’attaquer à moindre coût les brevets de faible qualité, notamment dépourvus d’inventivité ». Il est même envisagé que l’INPI puisse à l’avenir procéder à l’examen de l’activité inventive.

Toujours en matière de brevets, le fameux brevet à effet unitaire est également attendu avec de plus en plus d’impatience.

La loi PACTE vise également à accroître et améliorer la collaboration entre recherche publique et entreprises, à l’origine de la création de nombreuses start-ups, qui « est une composante essentielle de la compétitivité de nos entreprises et du dynamisme de notre économie » (loi Allègre). Il est notamment prévu de simplifier la gestion des brevets détenus entre personnes publiques investies d’une mission de recherche.

Les outils judiciaires

Les organisations judiciaires en France et à Paris en particulier s’améliorent et se modernisent. Sans entrer dans le détail, citons rapidement :

  • Le nouveau TGI de Paris dans lequel nous nous trouvons ;
  • La spécialisation grandissante des magistrats dans le domaine de la PI ;
  • La nouvelle chambre internationale de la Cour d’appel de Paris, destinée à accueillir les contentieux internationaux des affaires ;
  • Et bien évidemment la Juridiction Unifiée des Brevets (JUB) dont la division centrale sera à Paris.

 

III. Comment le CPI peut-il accompagner ses clients et mettre en œuvre une stratégie favorisant cette croissance ?

Rôle de conseil

La mission du CPI a évolué significativement ces dernières années et il ne s’agit plus uniquement de déposer des titres de PI. Les entreprises sont demandeuses de davantage de conseil en amont (pourquoi déposer ?) et en aval (comment valoriser/rentabiliser la PI au sein de l’entreprise ?).

La stratégie des entreprises en matière de PI a évolué également, notamment pour les PME. Or les start-ups et jeunes entreprises en général sont toutes des PME. Les DPI sont souvent perçus de prime abord comme des sources de coûts. Le rôle du CPI est donc justement de convaincre les entreprises du potentiel de croissance qu’offrent les DPI, de mettre en œuvre la stratégie la mieux adaptée à leur environnement et de les accompagner à valoriser les DPI tout au long de la vie de l’entreprise. Il ne s’agit plus seulement de déposer des demandes de titres mais de mettre l’entreprise en situation de les exploiter au mieux et de les valoriser.

Quelques exemples de stratégie

Comme vu en introduction, les DPI sont définis par le Code de la propriété intellectuelle comme des droits d’interdire. Cette faculté d’interdire est indirectement un moteur de croissance. Par exemple, l’appropriation d’innovations par des brevets permet de bloquer des opérateurs intervenant sur les mêmes marchés en les privant de l’accès à ces innovations (tout du moins pendant un certain temps).

Cela conduit en retour les concurrents à développer leurs propres solutions. Cette course à l’innovation va dans le sens d’une croissance globale.

La nécessité de développement industriel et de développement technologique est également le moteur de croissance qui pousse les entités à se rapprocher pour mettre en commun les savoirs, pour mutualiser les efforts de recherche, pour tirer profit de l’expertise de chacun, etc., que ce soit sous forme de coentreprise (joint-venture) ou même selon le schéma de l’innovation collaborative.

Il n’est pas rare de voir des projets codéveloppés et cogérés par de nombreux acteurs publics et privés (> exemple récent dans le domaine de la santé entre une dizaine d’entités publiques et privées, sans compter les inventeurs personnes physiques : CNRS, dont laboratoires, Université, dont laboratoires, CHU, INSERM, CNRS Innovation, et sociétés exploitantes privées).

Sensibiliser une entreprise à la PI peut aussi contribuer à la croissance sur le plan humain. Impliquer chaque collaborateur dans la chaîne PI permet d’accroître les échanges, les échanges horizontaux entre les équipes métiers (R&D, design, créations graphiques, communication, juridique) et les échanges verticaux avec les équipes de direction (stratégie, juridique, décision), et ainsi de valoriser le travail de chacun. Le « management collaboratif de la PI » est un vecteur de croissance et d’émulation.

Le réflexe incontournable

La croissance tirée ou susceptible d’être tirée des DPI se mesure avant toute chose au sein de l’entreprise.

Il est donc fondamental de régulièrement faire des audits des DPI actifs au sein de l’entreprise, d’en mesurer la réelle valeur pour l’entreprise, de vérifier s’ils continuent à présenter un intérêt stratégique, commercial, industriel, etc. Cela doit conduire l’entreprise à s’interroger sur l’exploitation de ses propres DPI mais aussi sur l’exploitation des DPI dont elle peut être licenciée (> c’est l’enseignement tiré de la décision CJUE, 7 juillet 2016, affaire C‑567/14, puis CA Paris, 26 septembre 2017, pôle 1, 1re ch., RG 2016/15338 ; en substance, payer une redevance de licence de brevet pour une technologie brevetée que l’on n’exploite pas ne contrevient pas aux règles du droit de la concurrence).

© [INSCRIPTA]

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