La Cour de cassation vient de se prononcer dans une affaire de protection d’un concept en droit de la propriété intellectuelle qu’il est intéressant d’examiner pour rappeler que si cela est difficile, ce n’est pas pour autant complètement impossible. Le tout est de bien anticiper les obstacles pour élaborer une stratégie de protection adéquate (voir aussi notre article comment protéger un concept ici).

Voici les faits. Une personne physique (initiales YDP) est l’auteur de dessins stylisés, apposés sur des bouteilles de vin, et identifiant des mets par référence aux vins auxquels ils sont associés. YDP est aussi propriétaire de marques déposées pour des vins, qui reproduisent de tels dessins, associés à des expressions telles que « poulet chicken pollo », « poisson fish pesce » ou « agneau lamb agnello ». Il a concédé à la société Vinival une licence d’exploitation exclusive pour le monde entier portant sur ces marques et dessins, que la société a exploités sur des bouteilles de sa gamme dénommée « boire et manger ».

Derrière ces éléments, on devine le concept d’YDP, ainsi défini par les juges : « concept de présentation ludique de dessins représentant les animaux ou aliments dénommés dans trois langues pour présenter des [vins] ».

YDP avait donc bâti la protection de son concept de la façon suivante, assez bien pensée :

  • Droit d’auteur. A proprement parler, YDP n’avait effectué aucune démarche puisque le droit d’auteur naît du seul fait de la création, pourvu qu’elle soit originale, qu’elle reflète la personnalité de l’auteur. Disons qu’YDP croyait que ses dessins étaient originaux et donc protégés par le droit d’auteur.
  • YDP avait déposé des marques françaises et communautaires (devenues marques de l’Union européenne) reproduisant certains de ses dessins, pour des vins.
  • YDP avait concédé une licence d’exploitation englobant à la fois les droits d’auteur revendiqués sur les dessins (ce qui permet de les concrétiser) et les marques déposées, à une société commercialisant du vin.

On aurait sans doute pu envisager des dépôts de dessins et modèles, mais il est vrai que les dépôts de marques avaient l’avantage de protéger des dessins en relation avec des vins, donc de donner d’une certaine manière une substance au concept.

Mi 2004, la société Vinival a cessé de payer les redevances de licence. Mi 2007, les relations entre les protagonistes se sont durcies et YDP a repris sa liberté. Mi 2008, YDP a assigné la société Lacheteau, venant aux droits de la société Vinival, en contrefaçon de droits d’auteur et de marques, ainsi qu’en parasitisme, car elle continuait à commercialiser des bouteilles de vin comportant des dessins associant mets et vins.

Reprenons la structure de l’arrêt rendu par la Première chambre civile de la Cour de cassation le 22 juin 2017 (N° de pourvoi 14-20310 ; l’affaire a été entendue et délibérée par la chambre commerciale).

Sur la contrefaçon de marques

Les juges du fond avaient condamné la société Lacheteau pour contrefaçon de marques. La Cour de cassation approuve leur raisonnement s’agissant de la comparaison des signes : « visuellement, en dépit de la différence dans la présentation des éléments figuratifs et de détails sur la représentation des animaux et de l’ajout d’un macaron « boire et manger », il résulte de la reproduction enfantine de dessins, séparés, d’animaux présentant une configuration très proche, ou de mêmes sortes de pâtes, une impression de grande similitude et […] cette impression d’ensemble est confortée par la reproduction, en dessous de ces dessins, de la même manière, sur une ligne en lettres capitales d’imprimerie, des trois éléments verbaux désignant les animaux ou aliments représentés ; […] sur le plan phonétique, nonobstant l’ajout du macaron ou la modification de certains éléments verbaux, une prononciation scandée de trois appellations aux sonorités différentes, avec reprise de termes connus, demeure prépondérante ; […] intellectuellement, les illustrations renvoient au même concept de présentation ludique de dessins représentant les animaux ou aliments dénommés dans trois langues pour présenter des produits similaires à ceux désignés par les marques françaises et communautaires et […] ces habillages sont de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du public entre les signes en présence ».

Le reproche principal formulé par la société Lacheteau, à savoir que la cour d’appel aurait procédé à un examen groupé de l’ensemble des signes en présence, et non pas à une comparaison des signes deux à deux, est balayé par la Cour de cassation, qui rejette le pourvoi de ce chef.

En fait, au titre de la comparaison des signes sur un plan intellectuel, la cour d’appel était même allée plus loin dans sa démonstration, en jugeant que les signes « ont la même fonction qui consiste à permettre d’immédiatement savoir accorder une boisson alcoolique à un type de viande ou à du poisson ou à des pâtes, ce qui n’apparaît pas très habituel dans la présentation de ce type de produit ».

Là, on est véritablement au cœur de la protection du concept au travers du droit des marques. Cependant, c’était sans doute aller trop loin. La Cour de cassation ne reprend d’ailleurs pas ce motif dans sa décision. Et il faut l’approuver. Les signes renvoient peut-être à un même concept. Cela engendre des ressemblances intellectuelles, très bien. Mais il n’était ni nécessaire ni opportun d’attribuer aux signes en cause la même fonction telle que définie par la cour d’appel. La fonction d’une marque, c’est de garantir l’identité de l’origine commerciale d’un produit ou d’un service et de garantir, via cette identité d’origine, la qualité du produit ou du service. Ce n’est pas de véhiculer un message commercial plus complexe.

Sur la contrefaçon de droits d’auteur

Les demandes d’YDP fondées sur le droit d’auteur avaient été rejetées par la cour d’appel. La Cour de cassation approuve de nouveau. « Il incombe à celui qui agit en contrefaçon d’une œuvre, d’identifier ce qui en caractérise l’originalité ; […] ayant relevé [qu’YDP] n’identifiait aucune combinaison d’éléments caractéristiques, alors que la société Lacheteau lui en faisait le reproche, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef ».

Sur ce terrain, on ne répétera jamais assez que les juges aujourd’hui ne sont plus aussi complaisants qu’ils ont pu l’être par le passé. C’est à celui qui revendique l’originalité d’une œuvre de faire la preuve de cette originalité, qui n’est jamais présumée, ce qui suppose un minimum d’efforts de caractérisation. Ce n’est pas aux juges de se substituer au demandeur ni de pallier sa carence. Et c’est encore moins à la partie adverse de faire les frais de cette légèreté qui ne lui permet pas de savoir précisément ce qu’on lui reproche ni d’assurer convenablement sa défense.

YDP avait bien pris la précaution d’intégrer les droits d’auteur dans le contrat de licence d’exploitation mais, la cour d’appel le rappelle, des accords contractuels ou le paiement de redevances sont indifférents pour caractériser l’existence de droits d’auteur.

Sur le parasitisme

Les juges du fond avaient condamné la société Lacheteau pour parasitisme, pour s’être « approprié une façon innovante de représenter sur une bouteille de vin un dessin, non pas pour en illustrer l’étiquette classiquement apposée sur une tel produit, mais pour décorer la bouteille afin de suggérer de manière purement ludique l’association du breuvage à un type de plat » et « qu’elle a ainsi, en étendant ce concept, cherché à profiter sans bourse délier de son succès économique, à son seul avantage et au mépris des intérêts [d’YDP] ».

Cette fois-ci, la Cour de cassation censure au visa de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil et du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, rappelant que « les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas un acte de parasitisme ».

Nous revoilà au cœur de la protection d’un concept, mais cette fois-ci sous l’angle de la concurrence déloyale ou du parasitisme. Pourtant, les motifs de l’arrêt de la cour d’appel ne sont pas sans rappeler sa définition précitée (et critiquée) de la fonction des signes en cause dans cette affaire. Sur le terrain du droit des marques, la Cour de cassation avait préféré ne pas reprendre à son compte les motifs des juges du fond, à bon droit selon nous car ils étaient mal formulés, n’avaient pas leur place dans la démonstration et étaient quoi qu’il en soit surabondants. D’une certaine façon, la Cour de cassation les avaient sanctionnés en les ignorant.

Sur le terrain du parasitisme, la Cour sanctionne de nouveau cette motivation, car elle ne fait que traduire une idée, idée qui doit rester de libre parcours. Et l’on commence à percevoir la conclusion de notre démonstration…

Mais indiquons simplement que la Cour renvoie les parties devant la cour d’appel autrement composée pour que soit à nouveau statuer sur cette question et surtout sur la question des dommages et intérêts, la cour d’appel n’ayant semble-t-il pas convenablement distinguer chacun des chefs de préjudice résultant d’actes de contrefaçon et de parasitisme et ne les ayant pas évalués distinctement.

Ce qu’il faut retenir

Le traitement réservé à cette affaire par la Cour de cassation est particulièrement instructif et illustre parfaitement bien la difficulté qui existe à monopoliser un concept.

YDP a bâti la stratégie de protection de son concept sur trois axes : droit d’auteur, marques, contrat.

Le contrat ayant été résilié, YDP a recherché en justice la protection effective de son concept sur trois fondements : contrefaçon de droits d’auteur, contrefaçon de marques et parasitisme.

Sur ces trois fondements juridiques, YDP n’a pu obtenir gain de cause (pour le moment, car une nouvelle cour d’appel va être convoquée sur la question du parasitisme) que sur le fondement du droit des marques. Or seules les marques consistaient en des enregistrements transformant le concept en droits réels, tangibles, ayant une matérialité concrète, c’est-à-dire protégeant l’usage d’un dessin donné en relation avec un produit donné.

Autrement dit, comme nous l’avions déjà conseillé, la protection d’un concept doit se matérialiser autant que faire se peut par le dépôt de titre de propriété industrielle si l’on veut pouvoir l’exploiter sereinement et générer de la valeur.

© [INSCRIPTA]

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